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Chercheurs de revues

Jeudi 28 juin s’ouvrait au KULTE Center for Contemporary Art & Editions de Rabat une exposition à la croisée des disciplines, des médias et des continents. Cette Sismographie des luttes a tenté le pari fou de recenser les revues critiques et culturelles non européennes parues entre la fin du XVIIIème siècle et 1989.

Ce projet d’envergure est porté par Zahia Rahmani, commissaire et conceptrice de l’exposition, écrivaine et chercheuse à l’INHA (Institut national d’histoire de l’art) de Paris. Cordonné depuis le département « Histoire de l’art mondialisée », ce projet d’études a donné lieu à une large collaboration pour la recherche et la traduction d’une équipe d’une vingtaine de jeunes chercheurs, pour la plupart binationaux. Ce travail colossal a été présenté pour la première fois lors de la biennale de Dakar, pour faire escale du 28 juin au 4 août à Rabat, avant de poursuivre sa route vers les États-Unis, Haïti, ou encore la France. Une exposition mondialisée donc, promouvant une « Histoire globale des revues critiques et culturelles », même sur le plan technique.

Car si l’exposition s’attache à une forme littéraire et scripturale, elle n’en demeure pas moins une installation artistique, donnant lieu à une mise en valeur esthétique des revues grâce à une projection vidéo-sonore. Ici, pas de revue papier emprisonnée sous une cloche de verre, mais une fresque colorée de couvertures, exposant côte à côte des revues critiques et culturelles venues des quatre coins de l’Afrique, d’Asie, d’Amérique, d’Océanie ou produites en situation diasporique depuis l’Europe.

Dynamiques intellectuelles, artistiques et politiques communes

Organisée selon un déroulé chronologique, cette installation retrace l’histoire commune de peuples asservis, que ce soit par l’esclavage, le colonialisme, les violences des dictatures ou des guerres. Dans ces contextes disparates, la revue culturelle devient le dénominateur commun d’ambitions indépendantistes contrariées et d’une quête de résistance collective. Écrites bien souvent dans des contextes d’adversité matérielles, ces périodiques sont aussi des espaces d’audace formelle, et d’hybridité assumée, dans ce qui est devenu un véritable laboratoire de la modernité. Cette mosaïque éclectique de revues est donc à elle seule le manifeste pour une histoire de l’art globale, démontrant que des dynamiques intellectuelles, artistiques et politiques communes dessinent un long continuum des luttes dans des zones géographiques distinctes.

Le colloque qui s’est tenu le lendemain du vernissage a confirmé cette démonstration, à travers un focus sur les revues d’Afrique du Nord et de l’Asie de l’ouest, dit Moyen-Orient. Cette journée d’étude d’une grande richesse a réuni les voix d’historien.ne.s de l’art comme Rasha Salti, qui a présenté la revue Hiwar, Morad Montazami, qui a réactivé la revue Zamân, Fatima Zahra Lakrissa, qui a évoqué les revues marocaines Maghreb Art, Souffles et Intégral, mais aussi de journalistes et essayistes comme Kenza Sefrioui.

 

Zahia Rahmani est revenue sur des définitions épistémologique de ce champ de l’histoire globale des luttes, tandis que Florence Duchemin-Pelletier a présenté le projet de base de données sur le site Agorha, qui récense et classe près de 1200 périodiques culturels. Un projet artistique, littéraire et politique, pour un sismographe qui n’a pas fini d’enregistrer des secousses de résistances et de luttes d’une histoire globale qui continue à s’écrire.

Noémie Cadeau

L’exposition Sismographie des luttes, vers une histoire globale des revues critiques et culturelles dure jusqu’au 4 août 2018 à Kulte Gallery, à Rabat.

3 juillet 2018